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L'OPIUM

infatigable aiguille. Ces lectures inoubliées, mêlées étrangement dans une bibliothèque d’où son père avait retiré les seuls livres dangereux, il ne devait jamais perdre leurs résultats complexes, il les analysait à présent d’un jugement sûr— du moins le croyait-il, — y arrêtant une longue minute son voyage dans le passé.

Cette halte le fortifia dans cette opinion que l’abus du livre avait exagéré les legs de l’hérédité, l’intéressant trop tôt à la vie, tout en l’écartant de l’action, du vouloir, dans une habitude de paresse physique d’où sortiraient, d’où s’augmenteraient, à vingt ans, sa paresse morale, son amour du rêve, et ce besoin de sensations exceptionnelles qui lui faisaient écrire Les Chimères, à l’âge où les plus malheureux de ses aînés avaient à peine connu le doute en leurs passagères mélancolies.

Il se secoua, et, grain à grain, redéroula son chapelet. Un émoi l’attendrissait, contre lequel il luttait mal, à l’évocation fuyante de cette mère tant aimée, et morte. Ce n’était pas à cette époque qu’il la voulait retrouver, pâle figure, noyée de douceur, et pareille à une sœur aînée. Tantôt, il l’appellerait, douloureuse et tragique, vieillie, mais belle encore, telle qu’en ses derniers jours. Sa préférence allait d’abord à rémunération complaisante d’autres deuils, d’autres souffrances. Les divers lycées et collèges par lesquels vagabondait son éducation d’enfant de fonctionnaire roulant la France, du nord au sud, et du sud au nord, au gré des caprices ministériels, lui apportaient de cruelles blessures, cuisantes d’humiliations. Il ignorait les champs, le grand air, les exercices physiques, les jeux corporels, gauche et ridicule hors des jupes maternelles, et quoiqu’externe, souffrait partout du fait de ses compagnons, bourreaux actifs taillés pour la vie. Puis, dans