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L'OPIUM

faite sans doute. Dix ans: le premier lycée, les premières souffrances extérieures, car les autres avaient commencé plus tôt, mêlées, si loin qu’il remontât, aux moindres rappels du foyer familial. Comme toujours, ces choses vieilles se fixaient, se ramassaient en des petites scènes, en des points saillants, mieux retenus, et sans cause apparente, comme s’ils synthétisaient les impressions d’une période. De cette façon, Marcel revit en des bouts de province, en vingt appartements, vingt querelles entre son père et sa mère, et ses grands parents, querelles dont le souvenir surnageait dans le naufrage de souvenirs semblables, parce qu’il avait, ces vingt fois là, pleuré davantage, ou parce que des séparations les avaient closes. A ce propos, elles lui revenaient, les précocités de son intelligence. Il écoutait, il comprenait, il gardait les choses dites devant lui, sans jamais, quand il ne les saisissait pas tout de suite, proférer de pourquoi, pressentant des silences et des gronderies, s’il osait interroger, tandis que, muet, l’explication lui viendrait toute seule, à son heure. Oh ! les tristesses de ce foyer d’officier pauvre, ces désunions des êtres qu’alors il aimait également, ne pouvant les juger ! Il les revivait, le cœur étreint malgré leur date et pour pire qu’en eût été la suite… Ses petites mains avaient, en ces temps, déjà tenté des réconciliations, ses joues avaient essuyé les impatiences paternelles. Cependant, il poussait d’une croissance hâtive, se sentant aimé, lui aussi, et d’égales tendresses abrégeaient ses chagrins d’enfant, toutefois sans qu’il marquât jamais l’insouciance de son âge. Car, dans ce misérable intérieur, il vivait reclus, le teint blanc et les yeux trop profonds à cause de ses incessantes lectures aux pieds de sa mère, tandis que la jeune femme, non moins recluse, travaillait, très pâle les paupières rougies, à pousser une