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L'OPIUM

avec les amours anciens, soit qu’on relise ceux-là, soit qu’on revive ceux-ci. Marcel n’avait qu’une lettre sous la main —’ en vérité fort longue, encore qu’il la trouvât courte ; — mais, de chaque ligne lue et relue, un monde de souvenirs se levait pour lui, vivante en- , cyclopédie, dont il n’avait pas le cœur de soi tir, sensations et idées s’y mêlant à plaisir pour la plus grande ; joie de son rêve. Sans se douter qu’il repasserait ainsi son existence entière, — sa courte existence, — il allait, entraîné, étourdi, par les crochets de sa mémoire, il allait de scène en scène, au hasard, mêlant les dotes.

Logiquement cette mentale promenade devait commencer par les origines de sa liaison avec Claire Leroux. Or, à peine retrouvait-il, dans une palpitation heureuse, la saveurde ses débuts, qu’il s’arrêtait court, confusément Iroublé de déterrer un Marcel semblable au fond de l’homme qu’il se sentait être, à présent. Des pourquoi le hantaient, la curiosité de l’analyste chez ce sensitif s’accordant à merveille avec les regrets. Lt, peu à peu, voulant savoir comment il avait réellement pu vivre en une semblable peau, il reconstituait ses divers avatars, il reconstituait sa vie que, par soif d’exactitude et de vrai, il prenait à l’aube de ses souvenirs d’enfance.

Tout d’abord, cela était vague, comme crépusculaire. Des choses flottaient. Imprécises et pourtant proches, il avait conscience qu’elles n’étaient pas oubliées, qu’elles nichaient sous son front, voilées seulement, comme ces costumes, comme ces paysages dont au moment de les décrire, on ne parvient point à réunir les détails, tout en les revoyant, tangibles à ce qu’il semble. Des murs gris, une cour ombragée de platanes dont l’écorce seule lui réapparaissait très nette, à cause de ses effrois de baby devant les perce-