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L'OPIUM

je n’en pouvais plus… L’énervement des adieux passé, je me suis dit : Il vaut mieux que cela soit. La séparation se fera naturellement, sans cris, sans colère — et nous deviendrons des amis.

Moi, ton amie ! Moi !… Je n’aurais jamais cru cette chose possible… si vile surtout !…

O mon Marcel, tu ne retrouveras plus une tendresse comme la mienne !… Que tu es faible sous tes apparences viriles ! Bah ! c’est peut-être pour cela que je t’ai aimé ! Et pourtant, non ! Non ! car, sans Le connaître moralement, je t’ai aimé tout de suite, comme une bête. Plus tard, c’était le reflet de ma propre illusion que j’essayais de rattraper… »

« On aime davantage ou l’on oublie ! » Le chancelier aurait écrit cela, l’avait écrit peut-être. Il n’en souffrit pas moins en retrouvant ce naïf aphorisme sous la plume de Claire. Dans ces débats d’amants qui se quittent, l’homme ne se borne pas à se contredire, il veut être contredit. Par destinée bourreau de soi-même, il essaie d’oublier les blessures de son cœur en imaginant d’autres blessures à son orgueil, ou en exagérant celles-ci. Deschamps avait rompu, mais, justement à cause de ce fait, voulait être plaint davantage, et, des deux, sembler le plus malheureux. Il avait, de Marseille, prêché la résignation à l’abandonnée et sans se l’avouer, il regrettait que l’abandonnée ne lui fît pas de reproches ; même, tout bas, il lui gardait rancune de paraître accepter ses conseils. Tantôt, aux premières lignes, il s’était apitoyé sur ce chagrin dont il était cause, — rien n’est plus accessible à la pitié qu’un amour-propre satisfait ; — maintenant il trouvait son amie bien prompte à prendre son parti de leur séparation. A tout dire, son orgueil souffrait surtout de se découvrir, en cette occurrence, pareil aux autres hommes, avec les communes lâchetés et