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L'OPIUM

joie du jouet neuf, le pressent sur leur cœur jusque dans leur sommeil, de son bras replié elle retenait sur son sein la tête de son amant Hélas ! il était vieux, son jouet, mais certains babies les préfèrent ceux-là. D’ailleurs, dans quelques jours, ne le lui enlèverait-on point ?… Deschamps, attendri jusqu’aux moelles, jouissait de la tiédeur de ce coussin ; seulement sa mobilité d’esprit, le premier chagrin passé, emportait sa pensée loin de là, sur un steamer empanaché de fumée, sur la grande mer, par les rizières tonkinoises. Et en s’assoupissant, il songeait aux préparatifs qu’il devrait faire. Un torticolis, bientôt, l’éveillant à moitié, il repoussa d’un bras inconscient, mais ferme encore, sa compagne au bord du lit. Elle ouvrit les paupières, rejetée à la réalité de son deuil, et elle se fit petite pour ne plus le gêner. Elle le regardait dormir ; des pensées nageaient dans ses yeux humides. Du moins, celle-ci ne lui vint pas que le sommeil chez l’homme est seul à ne pas mentir, et que cette poussée brutale du mâle qui ne veut plus résumait la philosophie fatale de l’amour.

Marcel continuait à relire, goûtant à voyager par ses souvenirs cette mélancolie amère où se complaisent les êtres habitués à beaucoup vivre en eux. Les passages les plus récents, la fin de ces adieux écrits à deux reprises, le retinrent.

« … Cette lettre que tu m’as envoyée de l’hôtel, à la veille de ton embarquement !… Non seulement tu n’as plus de flamme, mais lu ne te donnes même plus la peine de mentir ! L’absence, mon pauvre Marcel, est comme la mort : on aime davantage — ou l’on oublie.

Il me semble qu’il y a un siècle que tu es parti, que je ne te verrai plus, et, triste ! triste ! cela me laisse presque sans larmes. J’avais dépensé mon énergie dans les dernières luttes : après ton départ,