Page:Bonnetain - L'opium, 1886.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
L'OPIUM

de vitalité qu’ont avant d’expirer les lumières moribondes. Mais il insistait à peine, quoique épris à nouveau comme elle le pressentait. Et c’était une pudeur qui le retenait ainsi, les lèvres dans les cheveux de sa maîtresse à écouter les palpitations de leurs deux cœurs. « Elle sait, pensait-il, que je ne l’aime plus, et mes caresses lui répugnent comme la brutalité d’un désir où parlent les sens seuls ». Il eut un frisson pareil à un sanglot qu’on étouffe ; alors elle lui prit la tête, l’appuya sur sa poitrine et elle éteignit la lampe, ne voulant pas qu’il vît ses larmes.

—Mon pauvre Marcel !…

Elle n’ajoutait rien, émue de cette tendresse qui mentait pour lui éviter de souffrir et de cette noblesse qui reculait devant la comédie de l’amour, inachevant le mensonge et pleurant sur elle. Cependant, Marcel pleurait bien un peu sur lui-même, plus navré du chagrin de briser l’unique affection qu’il possédât au monde que du chagrin de la voir souffrir. Mais l’homme et la femme se trompent sur leurs larmes comme sur le reste, ruminait à présent le poète, et méprisant l’évidence, oubliant que l’amour n’est qu’égoïsme, leurs deux égoïsmes à l’envie s’illusionnent, dans un aveuglement naïf où leur bonheur se repose, — se repose à la façon de l’oiseau.

Avoir trop de choses à se dire, c’est n’en pas trouver. Ils étaient restés silencieux, dans l’ombre, puisant une telle douceur au chaste contact de leur chair et au partage de leur mal, que cette souffrance leur fut volupté et que cette nuit sans caresses leur demeura inoubliable. Les heures tombaient, toutes blanches, sans qu’ils bougeassent, ainsi que s’ils eussent craint de briser par un mot, par un geste, leur mélancolique communion. A l’aube seulement, Claire s’endormit ; mais, pareille aux enfants qui dans la