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L'OPIUM

fourré, le même costume, les mêmes choses extérieures qu’avant leur dernière rupture. Elle avait le même air, elle était la même, et ce n’était plus elle. Il le sentit bien, lorsque, dès le seuil, il l’eut prise dans ses bras. Les joues, les paupières, la bouche étaient glacées par le froid du dehors. Jadis, il aimait à les réchauffer tout de suite, sans lui laisser le temps de quitter son chapeau, à genoux devant elle, au coin du feu, devant la causeuse où les coussins gardaient toujours l’empreinte de son buste. Ce soir-là, il avait compris que vainement il réchaufferait cette chair, et qu’entre eux un froid était tombé plus puissant que tous les brasiers. Cependant, il la dévêtissait avec les chères câlineries de leurs jours heureux. Elle le laissait faire, muette, ou bien elle lui prenait la tête à deux mains, et elle le regardait dans les yeux, dans l’âme, puis, lasse de leur abîme, elle baisait furieusement ces yeux dans lesquels elle ne se verrait plus. Chose étrange, — et en repassant ses souvenirs, à cette heure, le jeune homme se le rappelait avec une désespérance spéciale, — son regard n’avait pas un reproche. Ce qui l’attendrissait, c’était une inquiétude. Pouvant maudire, il plaignait.

Ensuite, quand dans sa chambre il l’étreignit, elle repoussa son étreinte, doucement. Encore qu’il le niât, par horreur de blesser ce cœur trop plein de lui, elle avait, avec son sens de femme, deviné depuis longtemps qu’il l’aimait moins, et moins l’aimer c’était ne plus l’aimer. Aussi, se refusait-elle, à présent, l’aimant trop, elle, pour consentir à le perdre tout de suite, voulant allonger les heures suprêmes, trop fière pourtant pour accepter qu’il parodiât les transports de jadis. Elle se refusait, d’un geste triste, et qui sait ? peut-être avec l’espoir inavoué qu’il passerait outre et que a petite flamme se réveillerait dans cette résurrection