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L'OPIUM

Une musique entourait le Messidor épargné par l'averse, à son lointain mouillage. Là, Naples, la vraie Naples, se retrouvait, malgré le ciel bas et gris, malgré la brume du trop proche horizon. Car c’était, le long du géant paquebot, une confusion de barques multicolores, étrangement bariolées, qui se pressaient, s’accolaient, semblaient, de loin, monter les unes sur les autres. Des musiques s’en élevaient, orchestre et chœurs, portant plus haut que les huniers la gloire du Verdi national et de ses pasticheurs populaires. L’angoisse et les lamentations des miserere, les pleurs de la Traviata, les gloires barytonnantes d’Aïda, toutes les mélodies moulinées aux Deux-Mondes par les orgues barbares, confondaient là leur trémelos, et renforcées par les accordéons, les violons, les guitares, les harpes, promenaient leur banalité par les airs. Deschamps était trop mélomane pour que sa lassitude l’empêchât de noter l’inconcevable fusion de ces vulgaires harmonies. Cela faisait un tout, un ensemble, une œuvre unique, où rien ne détonnait, comme si Marguerite Gautier n’eut jamais joué que du trombone au deuxième escadron de la Garde Impériale égyptienne, comme si la nourrice du Trovatore eût toujours doublé la Prudence de la Dame aux Camélias ! Ainsi l’avaient frappé jadis certains volumes timbrés par l’éditeur Lemerre et pareillement rimés, sur des conventions pareilles. Il en vint, lui-même, à mêler en sa tête, comme les exécutants en leur concert, les opéras du maestro ; mais une soudaine clameur le sortit de ce cauchemar, le brusque nouvel accord des musicanti.

Santa Lucia ! criaient les passagers accoudés sur la lisse.

La romance populaire commença, lancée d’un tel entrain que, pour le chancelier, son usure, son trop