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L’OPIUM

rait appris cette lettre … La dernière Italienne n’avait point passé, et déjà Marcel s’était persuadé que l’amour-propre seul, que la curiosité seule, l’avaient amené là, et que, seuls, ils souffraient à cette heure. « J’aurais mieux fait de dormir », pensa-t-il. La pensée de sa nuit blanche, sur ce, lui donnant faim, il chercha un restaurant et s’y installa devant une tasse de chocolat, deux douzaines d’huîtres, deux tranches de mortadelle, et un fiaschino de vin de Capri. Sa fantaisie s’amusait, avec un rire jaune, de cet insolite menu et du démenti que son estomac donnait à son cœur.

À moitié du repas, il s’arrêta, reconnaissant la salle pour y avoir dîné avec Claire, mais il se contraignit à chasser cette image, acheva sa bouteille, et, un garçon à l’habit graisseux lui ayant rendu sa monnaie, il se dirigea vers la chapelle Sari Severino, où vainement il voulut retrouver ses admirations d’antan. Ensuite, il erra, sans savoir, les gestes lourds, les paupières lourdes, n’essayant point de lutter avec sa fatigue somnolente, comme si sa tristesse y eût trouvé une excuse ou une consolation. Devant la Danaé, devant la Psyché, devant les bronzes du Musée Royal, il eut bien de courts réveils et ce frisson à fleur de chair par lequel son organisme traduisait matériellement l’impression psychique du beau, mais ces enthousiasmes restaient brefs, gâtés par des réminiscences d’enthousiasmes jadis partagés, de leçons d’art professées là, là même, tout près d’une oreille rose dont l’ourlet le hantait à cette heure, vision gonflant encore sa lèvre de baisers. Comme elle l’entendait mal, sa Claire, mais comme elle l’écoutait, câline, pendue à son bras, et les yeux dans ses yeux, lui poussant au cœur, à travers les étoffes, la chaleur douce de son sein ! Nulle femme ne le regarderait plus ainsi ! Il ne le reverrait

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