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L'OPIUM

montrer supérieur à elle, on s’impose de modifier les fruits de notre hérédité morale. Vous souriez ?… Je sais bien que ma théorie est insuffisante, mais considérez-la comme de transition. Elle est du moins à la hauteur de ce que nous savons scientifiquement. Certes, on peut s’ingénier à rechercher la nature des relations de notre être psychologique avec le monde extérieur, mais réfléchissez qu’une petite veine en se rompant dans une circonvolution de notre cerveau nous fait voir ce qui n’existe point…

— Eh bien alors ? ricana Marcel.

— Alors ?... Cela constaté, je me suis rappelé, je vous le répète, que nous héritions de l’organisme psychologique comme du reste, et que nous pouvions le perfectionner comme le reste, — avec de la volonté. Appelez-le comme vous voudrez, notre espèce tend vers un état meilleur que nous ne connaissons pas, mais que nous pressentons. Le devoir pour chacun de nous consiste à pousser à la roue. Pourquoi s’inquiéter d’autre chose ? Pour tomber dans les contradictions, dans les impossibilités ? Le devenir est-il si important ! Pour moi, mes spéculations théoriques ne vont pas plus loin. La morale pratique me préoccupe seule, que je considère comme individuelle, chacun ayant sa conscience propre, plus ou moins perfectionnée. Nos instincts, dit Spencer, sont des habitudes organisées héréditaires. Mon indulgence vient de ce que nous ne pouvons les modifier qu’avec peine, que lentement… Mais pourquoi discuter de ces choses ? De même que notre morale et que notre conscience, nos façons de juger sont individuelles, et il est parfaitement inutile de nous les communiquer les uns aux autres. Grâce au dessin, nous savons que l’image des objets sur notre rétine est la même pour tout le monde : en est-il ainsi pour nos impressions ou sensations psychiques ?… Le