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L'OPIUM

lement pressenties, le plaisir de lentement suppléer aux aveux.

Marcel remercia et rassura du regard M. Villaret dont l’œil s’excusait. Puis, quand celui-ci, content, eut souri, et repris, avec ses cent pas, son observation des brumes, il garda le silence un instant encore, pensant à la bizarrerie des hasards et des destinées qui lui faisait rencontrer à l’heure et dans les lieux les plus inattendus le partenaire intellectuel que ses rêves appelaient en vain à Paris. Il retombait de là à l’étude commencée de ce compagnon. Son caractère, il l’avait lu, à livre ouvert, sur sa physionomie de Bourguignon, bien équilibré, unissant dans une saine synthèse tout ce que donne l’héréditaire communion avec le sol, tout ce que livre la lutte avec la mer. La bonté, la franchise, l’énergie, l’amour des horizons infinis, l’œil et la bouche les proclamaient, mais cela formait le moral, et Marcel se préoccupait surtout de l’homme intellectuel. Sa complexité s’amusait au surplus de celle qu’il devinait chez son nouvel ami, pour deux ou trois lambeaux de profession de foi philosophique, dont le paradoxe restait irréfutable, étant vécu. M. Villaret, docteur ès-sciences naturelles et passionnément observateur, représentait dans le débat le physiologiste raisonnant sur des faits, alors qu’il demeurait lui-même — il en avait conscience, — le psychologue naïf, dont l’analyse tâtonne hors du moi, instinctive d’ailleurs, et par cela même, survivant à la volonté, comme le naturel et très égoïste produit d’un tempérament sensitif.

Justement, lorsqu’il renoua la conversation tombée, cette explication le frappa. Il disait :

— Mon cher commandant, il est certain qu’à Marseille j’eusse été plus… calme par un ciel bleu, sur de l’eau bleue, et que, depuis, à défaut de résignation,