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L’OPIUM


III


— Peuh !… La vie, la nature et les hommes, voyez-vous, restent toujours cruellement pareils, immuables dans leur férocité, immuables dans leur indifférence. Les sourires que nous leur découvrons à des heures rares, c’est nous qui les leur prêtons, libéralement. Encore, pour ce prêt, les empruntons-nous au ciel ou à la mer, parfois aux deux, quand surtout un soleil, longtemps attendu, balaie nos mélancolies avec leur brumes, et réveille toutes les exubérances physiques avec tous les espoirs. Plus ou moins, et sans nous en apercevoir, nous sommes, tous, de la couleur du temps, soumis presque autant aux variations du baromètre qu’aux caprices de notre estomac ! Or, juger hommes et choses par les enchantements d’un beau jour ou les béatitudes d’une heureuse digestion, c’est juger la mer par un temps calme. Rien n’est cruel comme la mer, et rien cependant, sauf l’enfance peut-être, n’a de sommeil plus doux, plus tendre. Cependant, comme l’inverse n’est pas moins véritable, mieux vaut, à mon sens, ne pas juger du tout et se tenir à l’écart, dans l’isolement de ses mépris ou de son