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L'OPIUM

flaient toujours, on rentrait les haussières, le navire était dans la passe, le nez au large, renâclant. Brusquement, quelque chose l’ébranla plus fort. Il semblait s’étirer, se gonfler comme un monstre au réveil. Et ses flancs vibrèrent plus vite, et, plus violemment l’hélice battit l’eau glauque, sous une soudaine nappe de mousse bouillonneuse. On était en route.

Deschamps se redressa. Un souffle passa sur son front, il sentit l’heure plus grave encore que triste, ému d’étrange façon, impuissant à raisonner. Du moins voulut-il, afin d’analyser plus tard son trouble d’à présent, noter les détails du tableau, les moindres phases de cet « adieu vat. » Mais la terre était voilée par une pluie fine, délayant le brouillard. Marseille se noyait dans du gris, pareille à quelque port anglais, mélancolique ainsi, et plus sale. Des maisons creusaient des trous jaunes dans le sombre rideau, s’effaçaient à leur tour derrière des mâtures. Le voyageur se retourna, regarda l’officier de manœuvre placé à l’extrême arrière qui, tout en surveillant la rentrée des haussières, à proximité du porte-voix communiquant avec la passerelle, envoyait à terre des baisers furtifs à des femmes, la mère et les filles, pelotonnées sous une toute petite ombrelle. Les parapluies maintenant bombaient de toutes parts. Sur la jetée, des docks au phare, ondulait un étoilement de boucliers tremblotants comme des épis. Marcel s’efforça de trouver ridicules ces adieux trop mouillés, ces mouchoirs agités sous la bruine.

— Saluez ! dit l’officier, l’oreille à son tuyau acoustique, l’œil et la main vers les trois femmes.

Deux timoniers saisirent la drisse, tirèrent doucement, l’un après l’autre, les deux bouts. La tente couvrant le paquebot empêchait Marcel de suivre la promenade du pavillon, montant et descendant pour