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L'OPIUM

avec des étreintes subites aux bras des passagers, des larmes mal essuyées, des caresses, des recommandations à voix basse. Le vacarme du bord, c’était le bord qui le produisait à cette heure, fièvreusement, rageusement, par saccades, comme impatient et las d’avoir attendu. Et l’on percevait à peine les lazzis, les querelles montant du quai où se partageaient pourboires et salaires.

, Marius ! et tu ne pars pas pour les îles ?

La voix du Messidor couvrait tout, une voix rauque que le grondement de la vapeur orchestrait. Les treuils de l’avant et de l’arrière grinçaient sur te rythme précipité des petits chevaux ; les faux-bras, énormes, s’enroulaient, se traînant des machines aux bittes sur le parquet sali, avec des tremblotements et des soubresauts traîtres de boas. Le sifflet de la machine ululait, et son enrouement crevait encore le tympan, remplacé bientôt par les susurrements perçants et grêles du méchant sifflet d’argent du maître de manœuvre, — un roquet aboyant derrière un canon.

Dominant le vacarme, un commandement s’éleva qui, tombé de la passerelle, courut par les bouches :

— Paré à larguer les amarres !…

Une sorte de silence se fit. La vapeur ronflait seule avec entêtement.

— Machine en avant ! Larguez tout !

Nul ne l’avait répété cet ordre, mais Marcel l’entendit ; les vibrantes syllabes lui meurtrirent le cœur.

Et le Messidor s’avança, lâchant ses câbles d’arrière, puis l’amarre qui, par bâbord, à l’avant, le retenait au paquebot voisin. Sur l’amarre de tribord, il se halait, sans secousses, avec une force douce, et l’on ne s’aperçut de son mouvement qu’aux vivats partis du quai dont le navire s’éloignait avec lenteur. Des manœuvres suivirent, scandées de coups de sifflet. Les treuils ron-