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L'OPIUM

teurs d’avoir à quitter le bord et à presser leurs embrassades.

Le marin se tourna vers son second qui s’approchait la casquette à la main :

— Tout le monde au poste d’appareillage !

Puis, tandis que le commandement répété précipitait un peu plus le movement du bord, il prit congé des fonctionnaires, glissa un au revoir amical à Deschamps et courut à sa passerelle.

Le jeune homme aussitôt se sentit retomber à son navrement.

Sans voir le coquet remerciement de la mère du joli baby, il se penchait sur la lisse, cherchant machinalement dans la foule qui grouillait sur les appontements, sur le quai, sur la jetée, partout, un visage ami, une figure où se raccrochât sa vague tristesse. Personne. Le cœur étreint, il battit et rebattit la foule avec sa lorgnette. Personne.

En bas, sur les flancs du Messidor, bâillant sous la coupée, une large porte-fenêtre se prolongeait d’une passerelle en pente ayant deux filins tendus pour garde-fous et dégorgeait tout un peuple sur le wharf. Là encore, personne. Des visages inconnus, insignifiants, communs, que son égoïsme trouvait morts. Il sentit son malaise grandir et quelque chose le prendre à la gorge.

Le tapage croissait. Ce n’était plus la rumeur, les cris, les jurons, les rires de la cohue de tantôt. A un second coup de cloche, les salons et les batteries avaient vidé sur l’appontement le flot des commissionnaires, des garçons d’hôtel, des portefaix, des curieux et des indifférents. Quelques visiteurs seuls restaient en bas, devant les abord et la passerelle, prêts à l’expulsion suprême, mais ceux-là ne faisaient pas de bruit, muets dans l’attendrissement du départ proche,