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L'OPIUM

Et, las de chercher couleur et parfums,
Maudit ma Chimère aux désirs sans bornes,
Sous les cieux trop bas, par les routes mornes !…

Marcel souriait sans amertume, habitué à chaque présentation à trouver sur les lèvres bien intentionnées de gens qui, la plupart du temps, ignoraient son œuvre, des vers de son début, vers popularisés par les gazettes, car le poète avait été un novateur, et des maîtres plus connus, introduisant après lui les anxieuses lassitudes de la jeunesse de ce temps dans le poème jusque-là conventionnel, l’avaient remorqué à leur gloire. A tout autre moment, il se fût, sur ce rappel, reporté à la fiévreuse époque d’où datait la pièce, aux joies brèves et brisantes de ces commencements ; mais une autre préoccupation le tenait, plus terre à terre et pressante. Il lui fallait expliquer comment et pourquoi, poète, il renonçait à son milieu, à la vie intellectuelle, pour aller s’enterrer en Indo-Chine comme fonctionnaire colonial. Cherchant ses mots, gêné, furieux de n’avoir pas prévu cette si naturelle question qui, désormais, le poursuivrait partout, il bégayait, parlant de sa fatigue de Paris, de son besoin d’horizons infinis, de choses neuves.

— Et puis, termina-t-il, — moins honteux de son demi-mensonge que de son embarras qui le forçait à citer à son tour ses propres vers, — on se bat là-bas ; notre poignée de soldats fait de l’épopée dans du soleil, par les rizières, dans un cadre étrange :

Être acteur et témoin de choses héroïques…

Il m’a pris une démangeaison de voir la guerre dans cet exotique milieu: je suis parti.

— Bravo ! faisait le commandant. Mieux vaut vivre l’histoire que la lire !…

De son œil clair, tout en causant, il détaillait son