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L'OPIUM

son teint mat s’éclairait d’une pâleur saine sur laquelle ses traits s’accentuaient vigoureusement. Une finesse, il est vrai, atténuait leur mâle dessin, solide en son irrégularité. Sans doute venait-elle de la bouche, trop petite, trop féminine en sa pureté, avec ses lèvres moins rouges que roses et serrées dans un pli où se marquait plus de capricieuse bouderie que de volonté réelle ? Peut-être encore, songea-t-il, était-ce son maigre menton ou son cou blanc et rond, un cou de femme, un peu fort, laissant à peine deviner les muscles, peut-être était-ce la gracilité de sa moustache, qui adoucissaient ainsi sa physionomie ? Car le haut du visage, lorsqu’il clignait les yeux, comme à cette minute, montrait seulement de la force. Les méplats des joues en allongeaient l’ovale, creusaient la face où les pommettes pointaient, sans rudesse, arrondies par la lumière, et presque luisantes au contraste de l’envoûtement des yeux. Les sourcils tentaient de rejoindre leurs deux arcs entêtés au-dessus de la ligne mince et droite d’un nez dont la petitesse, dont les ailes mobiles semblaient aussi d’une femme. Et la vigueur masculine trahie par les pommettes et les sourcils, le front la révélait en son entier développement, faite d’intelligence et non plus d’appétits. Très large, — la tête s’exagérant au sommet, — ce front était haut sans être singulier, et d’une hauteur à peu près partout égale, comme si les cheveux eussent été tonsurés par devant. Ceux-ci très courts, très drus, revêches en leur rebrousse-poil, encadraient d’assez loin les oreilles, mouraient en rebelle duvet sur la nuque puissante, et, avec leur teinte châtain sans lustre, imprimaient à la figure quelque chose de cet aspect baptisé : air militaire, et qui, suivant les types, est fait de franchise et de résolution, d’insolence et de brutalité. Seul le regard crée la différence. Furieux de se voir, agacé de