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L’OPIUM


II


Sur le pont, dans les salons, dans les batteries du Messidor, c’était un tapage et une confusion inexprimables, ce matin de dimanche. On partirait à dix heures.

Marcel errait un peu partout, las du bruit, agacé de cette fièvre universelle, triste aussi de cette première et vague tristesse que donne la solitude dans une foule. Mentalement, à chaque fois que son vagabondage le ramenait à des bousculades essuyées déjà, il se comparait à un chien perdu ; puis, sans savoir pourquoi, il se sentait le cœur serré avec une telle fatigue cérébrale qu’incapable de creuser sa sensation, il voulut se l’imaginer toute physique : « C’est une crampe d’estomac, je me suis levé tôt et j’ai faim ! » Sur ce, toujours railleur à lui-même, il haussa les épaules et héla le maître d’hôtel. On lui servit un verre de Marsala et deux biscuits dont la première bouchée lui resta dans la gorge. Son malaise croissait. Il se réfugia à l’arrière, s’assit sur le caillebottis, n’ayant plus qu’un souhait, celui de partir vite, d’être au large, en plein ciel, en pleine mer.

Physiquement, elle l’accablait, la vie bruyante qui l’entourait, à cette heure. C’était un va-et-vient de passagers faisant les cent pas avec des amis attardés à leur dire adieu, d’enfants qui couraient par leurs