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L'OPIUM

Installé chez lui, il savourait encore son bonheur d’avoir pris une décision, bonne ou mauvaise, d’en avoir terminé. C’était comme la sensation confuse d’une amputation qui lui aurait enlevé et sa douleur et le membre endolori. Il essaya de lire deux ou trois volumes parlant de sa future résidence, puis dîna seul, heureux et distrait. Avant le dessert, il se leva pour consulter un itinéraire. Par quel paquebot partirait-il ? Comme il cherchait le livret, il rencontra le portrait de Claire Leroux, le regarda comme s’il ne l’avait jamais vu. Était-elle jolie ! Pourquoi l’aimait-il donc si peu ? Un attendrissement l’empoignant, il jeta la photographie, furieux d’avoir à raisonner déjà la manière dont elle prendrait son départ. Des songes, des souvenirs, des regrets l’abîmèrent, sans que son rêve se précisât. Alors, il s’habilla, sortit, entra dans un théâtre. Des amis le reconnurent, qu’il suivit au dernier entr’acte. On discutait le livre de la veille, et Marcel retrouvait des fièvres d’artiste, des paradoxes convaincus. Cependant il tut son prochain départ, assez enfant pour s’imaginer une surprise de la dernière heure, quand on saurait, et pour s’en réjouir.

Lorsqu’il rentra, il était délesté de soucis. Une valse tournait en sa tête, et songeant à la décision qu’il avait prise, à la philosophie qu’il avait ruminée, il se coucha, trouvant sa journée bien remplie.