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L’OPIUM


PREMIÈRE PARTIE


« Chaque homme porte en lui sa dose d’opium naturel, incessamment secrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d’heures remplies par la jouissance positive, par l’action réussie et décidée ? »
(Baudelaire : L’invitation au voyage.)


I


— Vous êtes un grossier personnage, et je vais vous signaler à vos chefs !

Sur cette dernière apostrophe au conducteur, Marcel Deschamps sauta hors du tramway.

Le jeune homme était très rouge, ayant commencé par être très pâle, et les frémissements de sa colère se prolongeaient, leur cause éteinte, sous cette exaltation que donne aux novices la sensation d’une galerie, d’un auditoire.

— La Madeleine !… glapit l’employé.

Le petit véhicule s’arrêtait à sa place habituelle, et tandis que les chevaux fumants essuyaient mutuellement leurs naseaux sur leur crinière, oublieux du fouet déjà, et résignés dans l’essoufflement de leur repos, les voyageurs moins agiles que Marcel, les