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CHARLOT S’AMUSE

couple, mais Charlot les regardait si tranquillement en s’appuyant sur son parapluie, qu’ils ne reconnurent pas la femme, la prenant pour une habituée du bal de l’Élysée Montmartre ayant ses papiers en règle et qui rentrait ayant « fait » un bon jeune homme à l’air naïf. Quelques pas plus loin, Charlot fit prendre à sa compagne une rue de traverse. Elle était en sûreté maintenant : ils pouvaient causer ; cependant, elle tremblait encore et elle ne consentit à s’arrêter que boulevard Denain, devant la gare du Nord, à la terrasse d’une brasserie flamande.

Charlot avait heureusement quelque argent, il commanda deux bocks, et alors la malheureuse lui dit son histoire. Histoire banale, vulgaire, mais qui intéressa comme un roman le malheureux pour qui Paris et ses mystères étaient encore un inconnu insondé. Elle s’appelait Fanny Méjean, et était fille de braves gens. Son père était chauffeur à la raffinerie Lebaudy, à la Villette, sa mère matelassière dans le même quartier. À seize ans, elle avait été séduite. De fait, elle n’accusait pas trop son premier amant. Elle s’était quasiment offerte. Elle aimait l’homme. C’était dans son sang, et les torgnoles que lui avait administrées son père n’avaient pu la guérir de sa passion. Elle avait fui la maison paternelle et roulé un peu