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CHARLOT S’AMUSE

tives. Il les aimait aussi, les noires machines, dont les cercles cuivrés s’allumaient par éclairs sous le gaz. Il se les imaginait vivantes et monstrueuses, à les voir semer derrière elles un crottin de braises rouges, qui lentement s’éteignaient, ou, lorsqu’elles venaient dans sa direction, à chercher un regard dans leurs gros yeux rouges, d’une aveuglante fixité sous leurs paupières de laiton, toujours ouvertes. Il les suivait longtemps, par esprit, dans leur course sur l’acier miroitant et poli des rails ; puis, dans la décroissance triste du vacarme de leur fuite, il se perdait à considérer les lourdes volutes de fumée blanche qui sortaient longtemps encore, presque à ses pieds, de la gueule du tunnel, et montaient, toutes droites, en des entassements croulants. Le toit de la gare dépassé, il ne les voyait plus, confondues sur le ciel clair, et il abaissait les yeux pour en retrouver les derniers flocons accrochés comme de la ouate entre les fils télégraphiques.

Un soir, comme il se levait du banc d’où il venait, pendant de longues heures, de contempler la gare du Nord, Charlot vit une femme accourir à lui. Elle lui prit le bras, l’entraînant, si haletante que, d’abord, elle ne put parler. Stupéfait, il marchait vite, poussé, traîné par elle, muet, lui aussi, de surprise. Au