Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
CHARLOT S’AMUSE

éclipses soudaines et les subites aurores allaient du quai jusqu’aux flancs du bac. Plus loin, dans le bassin, elle était noire comme de l’encre, et criblée d’étoiles, si calme que le saut d’un poisson y faisait, à perte de vue, un bouleversement circulaire dans l’élargissement duquel l’ombre semblait lutter pour rendre définitif et total le partiel et passager engloutissement des étoiles.

Mais, avec un tremblotement, les astres finissaient par resurgir tous, plus clairs qu’avant leur chute. Charlot les saluait, puis, son regard gagnait le large. Là, il se fixait, au milieu des bâtiments espacés de l’escadre, sur une nappe pareille à du mercure, où la lune concentrait sa lumière, dans un éblouissement froid. Et, tout autour, sombre, étaient les cuirassés, sombre les flots, sombre plus loin les côtes, les forts, les batteries ; au-dessus, le ciel lui-même était moins clair, et il semblait que toute lueur eût disparu sous l’irradiation blanche et triste de ce vif-argent nageant sur la mer et frémissant avec les vagues que ne pouvait étouffer son glacis.

Le jeune homme éprouvait à le contempler un trouble indéfinissable. Ému, comme tous les faibles devant ce qui est grand, il avait la brusque perception des profondeurs glauques que