Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
CHARLOT S’AMUSE

rayait en tous sens, elle lui sembla atrocement morne, implacablement solitaire et triste. Et tristes aussi d’une tristesse navrante en sa monotonie, lui apparurent les bâtiments blancs régulièrement percés de fenêtres égales. Un sentiment de faiblesse et d’isolement tombait sur lui de leur alignement sévère. Brusquement, il se souvint qu’étant gamin, à Paris, il était allé, avec son père, voir un voisin détenu à Mazas. Il avait, ce jour-là, devant la prison blanche et rébarbative, éprouvé la même sensation glacée. Et il se rappelait avoir alors empoigné plus fort la main de son père en se serrant contre lui, dans une involontaire et peureuse répulsion. Quelle main serrerait-il maintenant ? Il était seul.

Ce Lucien, comme il le haïssait ! Le misérable avait eu le cœur de partir sans lui dire un seul mot, sans lui envoyer l’adieu banal qu’il avait, lui, Charlot, adressé, en quittant Saint-Dié, aux plus indifférents de ses anciens condisciples ! Et il avait aimé ce lâche, ce traître ! Et tout à l’heure, dans le train, il ne tenait plus en place dans sa soif de le voir, dans son désir d’arriver plus vite ! Il poussait le wagon avec ses pieds, l’imbécile ! Il maudissait les pauvres mathurins qui, dans leurs ébats de joyeux drilles, le distrayaient de ses