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CHARLOT S’AMUSE

Charlot tremblait, tout pâle, et s’appuyait au mur.

— Parfaitement, mon vieux, répondit le soldat. Il a permuté, la semaine dernière, avec un de ses copains de la 12me qui avait peur d’aller en Cochinchine. À c’t’heure, il est en route à bord de la Creuse. Si vous voulez le rattraper, faut vous presser, car la gabare file bon train !

Le malheureux n’entendait point les lazzis de l’homme. Ses jambes flageolaient. Il s’échoua sur un banc du corps de garde et resta là, morne, les bras ballants, le regard perdu dans le vide. Il ne se rappelait pas avoir encore autant souffert. Non, pas même en apprenant la mort de Mlle  de Closberry, il n’avait éprouvé pareil coup ! Cette désillusion l’assommait ; sans la présence des soldats, il aurait pleuré : il se sentait faible comme un enfant. Mais, devant ses futurs camarades, il lui fallait se roidir, et, dans cette tension de tout son être, son égoïsme se réveillait, surnageant seul du milieu de ses sentiments contenus. Une sensation de froid lui glissait sur les épaules, le faisant frissonner. Il regarda alors la grande cour sablée et plantée de platanes. Malgré son ensoleillement inouï, malgré le vert des feuilles, malgré le va-et-vient de fourmilière qui la