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CHARLOT S’AMUSE

marchait plus vite, il courait même, sentant battre à ses flancs sa boîte d’herboriste dont le ballottement sourd fouettait sa course, mais, bien vite, il s’arrêtait époumoné et sans haleine. Et il maudissait sa faiblesse physique, ses jambes trop tôt lasses, son souffle trop tôt haletant. Une rage l’empoignait. La lassitude le rejetait encore sur le sol, et l’idée, l’effroyable idée, revenait dévorante, plus implacablement. Sa fixité l’effrayait par instants, autant que son mal, et c’est avec terreur qu’il s’avouait vaincu par elle, la révolte de sa volonté l’hébétant chaque jour davantage.

Il recommençait alors son douloureux calvaire, le parcourant pas à pas, dans l’analyse cruelle des souffrances anciennes et de la torture présente.

Avec une inexorable précision, il étudiait ce qu’avait fait de lui les phases successives de son intoxication, comme s’il passait en revue, dans un album de famille, la collection de ses portraits à différents âges. Seulement, les épreuves étaient nettes. Le temps, qui pâlit les photographies et jaunit le papier, n’avait respecté dans sa mémoire affaiblie que les souvenirs se rattachant à son aberration maladive. Avec une effrayante exactitude, il les évoquait à lui-même.