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CHARLOT S’AMUSE

des professeurs, des frères, les évitant, d’ailleurs, dans la crainte inavouée qu’ils devinassent son mal. Il avait perdu de vue ses condisciples, qui, en se faisant hommes, l’évitaient, s’embourgeoisant, dédaigneux du « Parisien » sans état, sans famille, sans fortune, ou qui, accaparés par les soucis du travail quotidien, et misérables, — sympathisant peu d’ailleurs avec l’étranger aux allures insolites, — trouvaient à peine le temps de lui serrer la main de loin en loin. Seul. Et seul avec lui-même.

Il aimait cependant sa solitude passionnément. Mais ses promenades, qu’il faisait chaque jour plus longues, plus fatigantes, dans le vain et confus espoir de trouver ou la guérison, ou l’oubli, étaient souvent pour lui le pire des supplices.

Il les expliquait par son amour pour la botanique, et, sous couleur d’herboriser, emportant des vivres dans sa boîte de fer-blanc, il partait tous les jours, pris dès le seuil de la porte d’un tel dégoût et d’une telle lassitude intellectuelle qu’il enfilait, machinalement et sans but, le premier chemin venu. Il avait essayé de fumer, mais ne pouvant vaincre ses nausées, il avait renoncé à la cigarette, et, les mains inoccupées, la démarche incertaine, le tronc affaissé et tout le corps plié en avant, il s’en