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CHARLOT S’AMUSE

ils regardaient le dôme vert des branches que le vent, par instants, faisait frémir avec un bruit de marée mourant sur la grève, dans une plainte sourde, monotone, formidablement douce. Une grisante odeur de résine les baignait, traversée à chaque souffle par les effluves parfumées d’un chèvrefeuille enroulé autour d’un sapin et qu’ils ne voyaient pas.

L’âme des grands bois entrait en eux, cependant, amoureuse, mettant une langueur dans leurs yeux, une mollesse dans leurs membres. L’effrayante impassibilité de la grande nature, dans la régularité fatale des choses, allait son cours, et monstrueusement, la forêt vivait autour de ces deux jeunes êtres, leur déroulant ses mystères, avec la férocité charmeresse, les caresses passives et la méprisante prostitution à l’homme, des êtres inanimés. Insensible, elle se livrait, leur prodiguant sa douceur ombreuse, exhalant ses troublantes griseries, les berçant de sa froideur sereine, tentatrice impitoyable, hôtelière aveugle et inconsciente, douce à toutes les amours…

Et de ces deux enfants elle fit deux amants, abritant, sans le voir, le sacrilége qui l’atteignait elle-même : le viol de l’enfance par l’enfance.