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L’hyver est-il plus doux, l’esté plus temperé ?
Quelle moisson de fleurs plus vive, plus brillante
Que celle qu’on y void, et que flore y presente ?
En quel endroit l’automne a-t’il des fruits si beaux ?
Est-il rien de si pur que l’eau de nos ruisseaux ?
Et trouve-t’on ailleurs un ciel plus favorable,
Cerés plus liberale, et Bachus plus aimable.
C’est dans nos champs, Damon, que la simplicité,
Joint l’honnéte travail à la tranquilité,
On méprise le luxe, on neglige les modes,
On n’est jamais sujet à des loix incommodes,
Les divertissemens n’ont rien de fastueux,
Et les repas sont bons, sans être somptueux ;
Enfin, parmy les ris, les jeux, et l’abondance,
On void du siecle d’or, les mœurs, et l’innocence.
Je ne veux pas pourtant vanter mal à propos
Une oisiveté lâche, un indigne repos ;
J’estime ces esprits, qui par des soins utiles,
Honorent leur patrie, et reforment les villes ;
Il est beau de chercher avec avidité
Cette gloire qui mene à l’immortalité ;
Mais peut-on aisément dans le temps où nous sommes,
Suivre sans s’égarer les pas de ces grands hommes ?
J’espererois en vain de si nobles emplois ;
Je ne fus jamais propre à débroüiller les loix ;
Pour paroître au barreau, j’ai trop peu d’eloquence ;
Je manque pour la chaire, et d’art et de science ;
En un mot, cher Damon, le ciel ne m’a donné
Qu’un talent mediocre, et qu’un esprit borné.
On ne doit se méler que de ce qu’on sçait faire,
Un innocent loisir m’est un bien necessaire,
Mon sort est d’être libre, et je serois fâché
Qu’à de penibles soins mon cœur fût attaché ;
Il faut que le repos jusqu’au bout m’accompagne,
Je veux encor passer ma vie à la campagne,
Et s’il plait au destin d’en prolonger le cours,
Je veux vivre pour moi, le reste de mes jours.
Là sous des orangers, quand je suis las de lire,