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CHANT V



C’est ainsi qu’Apollon, par tant de railleries,
Se joüoit d’un autheur charmé des flateries,
Qui se trompoit lui-méme, et dont l’esprit gâté
Le disputoit en vers à sa divinité.
Aussi sans que ce dieu le presse davantage,
Il se met en état de lire son ouvrage.
Il ouvre ses cahiers, tousse et crache trois fois,
Il compose son geste, il mesure sa voix,
Et dit eloquemment qu’un enorme pupitre,
Est du poëme entier le sujet et le titre.
Il lit enfin tout haut, et fait voir dans ses vers
Les grandes actions de ses heros divers.
La discorde y paroît toute noire de crimes,
Sortant des cordeliers pour aller aux minimes.
On y voit dans leur lustre, et dans leur plus beau jour
Les nocturnes exploits de l’horloger la Tour,
Ce nouvel Adonis a la taille legere
Qui fait tout le souci d’Anne son horlogere,
Anne qui se pendoit sans sa chere Alizon,
Et qui dit en hurlant tout ce qu’a dit Didon.
Il lit en vers pompeux la forme, et l’origine
Du lutrin, ou plûtôt de la vaste machine,
Et de ses ais pourris l’ample description
Jette les auditeurs dans l’admiration.

Quand il décrit l’oiseau qui prône les merveilles,
Il enleve les cœurs, et charme les oreilles,
Et ses vers sont pressans, et ne sont pas moins beaux
Quand il peint la mollesse au milieu de Cisteaux.
Qui demande en pleurant, quel demon sur la terre
Soufle dans tous les cœurs la fatigue et la guerre ?
On n’admire pas moins ce pieux sentiment,
Marque de sa sagesse, et de son jugement,
Lorsqu’il dit, par l’excés d’une sainte franchise,
Que de tout abîmer c’est l’esprit de l’eglise.
Quel plaisir