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Tantôt un dieu cachant sa barbe limoneuse
Prend soudain d’un guerrier la figure poudreuse.
Tantôt au fort de Skinq animé de fureur,
Son front cicatrisé donne de la terreur,
Et pour peindre des faits d’eternelle memoire
Lutrigot prend la fable, et neglige l’histoire.
Ce bel esprit sçait fuïr tous les chemins batus,
Et former à son gré des dieux, et des vertus.
Ce n’est pas sans raison que cet autheur se pique
De triompher par tout dans son art poëtique.

Horace, dont il est l’eternel traducteur,
Seroit charmé de voir son escolier docteur,
Et ne manqueroit pas dans l’ardeur de son zele,
D’admirer un regent d’une classe nouvelle.
Ses dogmes empoulez à quiconque les lit
Infusent la science, et donnent de l’esprit,
Il pourroit par son art aprendre aux muses mémes,
À faire de grands vers, et de parfaits poëmes,
Et son penible emploi l’a sans doute empéché
De faire jusqu’ici ce qu’il nous a préché.
Qu’on ne l’accuse point d’aimer trop à médire,
Il le fait sans dessein, et ne songe qu’à rire,
Son ame est toute belle, et ses vers médisans,
Quoiqu’assez mal polis me paroissent plaisans.
Sans ce riche talent comment eût-il pû faire
Pour être regardé du peuple, et d’un libraire ?
Devoit-il dans un greffe à jamais retenu
Pourrir dans la poussiere, ou vivre en inconnu.
Il s’est mis dans l’éclat par sa vaste science,
On admire en tous lieux ses pieces d’eloquence ;
Il est pompeux, et grand dans le moindre projet,
Presque en chaque satire il épuise un sujet,
Chaque comparaison est toûjours sans égale.
N’estes-vous pas charmé de celle de Tantale ?

Et de celle du roi d’un stile tout nouveau,
Qu’il compare au bâton qui soûtient l’arbrisseau.
En vain un doux censeur oseroit entreprendre,