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CHANT III



À peine est-il parti plein de ses réveries,
Que ses deux chers amis s’en vont aux Tuilleries.
Là pour se garantir de l’ardente saison,
Ils se plassent à l’ombre assis sur le gazon,
Et comme Lutrigot occupoit leur pensée
Ils parlerent d’abord de sa gloire passée,
Et Rigelle disoit que pour la soûtenir,
Il étoit mal-aisé de tromper l’avenir.
Quoi, doutez-vous encor, lui dit alors Garrine,
Qu’il ne donne au public une piece divine ?
Ce lutrin merveilleux qu’il va faire imprimer,
Doit être pour le moins un poëme à charmer.
Sans doute ses heros de nouvelle structure
Auront à chaque pas quelque noble adventure.
Il va nous enchanter par ses narrations,
Il va nous ébloüir dans ses descriptions ;
Il me semble déja que cet autheur étale
Ce qu’a de precieux la solide morale,
Je l’admire déja méme sans l’avoir lû ;
Mais laissons le lutrin jusqu’à ce qu’on l’ait vû.
Disons que cet autheur malgré mille traverses,
L’emporte sur tout autre en ses œuvres diverses.
Ce sublime censeur plein de tant de clartez,
Possede eminemment de grandes qualitez.
Dés l’âge de quinze ans il fut modeste, et sage,
Il eût et la science, et l’esprit en partage,
Il évitât toûjours ces jeunes libertins
Dont les égaremens donnent tout aux destins,
Jamais à des erreurs son cœur ne s’abandonne,
Il croit l’ame immortelle, et que c’est Dieu qui tonne.
On ne voit point en lui de ces talens bornez,
Dont les esprits communs sont contens d’être ornez ;
De mille soins divers son ame est occupée,