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Devons-nous toutefois en paroître ébloüis ?
Ces heros étoient-ils plus heros que Louis ?
Qu’ont-ils executé de si digne d’envie,
Que ce grand roi n’ait fait dans le cours de sa vie ?
Tu peux sur ses exploits t’occuper noblement ;
Mais ne va point sur tout lui dire sottement,
Jeune et vaillant heros dont la haute sagesse,
N’est point le fruit tardif d’une lente vieillesse,
Et puis poussant ta verve assez mal à propos
Ne va point lui précher un languissant repos.
Fais voir que tout lui cede, et que rien ne l’arrête,
Qu’il court rapidement de conquête en conquête,
Que ses fiers ennemis ne peuvent l’étonner,
Qu’il sçait vaincre en tout temps, punir, et pardonner,
Que protegé du ciel, lui seul peut sur la terre,
Faire quand il lui plait, ou la paix ou la guerre,
Et quoique son grand cœur soit charmé des combats,
Que la seule justice arme toûjours son bras.

Aprés nous l’avoir peind vaillant, et redoutable,
Fais-nous le voir encor bien fait, adroit, aimable,
Mélant heureusement dans ses nobles projets,
L’interêt de sa gloire au bien de ses sujets,
Reglant ses grands etats par sa prudence extrême,
Maître de son conseil, et maître de soi-même,
Et toûjours faisant voir que sous ses justes loix
Il veut tout en monarque, et fait tout avec choix.
Il n’en faut pas douter, Lutrigot leur replique,
J’estime vos conseils, et j’aime l’heroïque ;
Mais tous ces vieux heros que vous me proposez
Passent chez les neuf sœurs pour des heros usez,
Et Louis qui merite et mes soins, et mes veilles,
Est un heros enfin trop fecond en merveilles,
Chacun peut reüssir plein d’un si grand objet ;
Mais de faire un poëme, et n’avoir pour sujet
Qu’un accident commun, qu’un pupitre sterile,
C’est l’ouvrage inoüi d’un poëte fertile,
C’est ce que n’a point fait le grec, ni le latin,
Et c’est ce qu’on verra dans mon fameux lutrin.