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Quand je trouvai chez moi cette fille celeste !
Son port étoit charmant, son air étoit modeste,
Quoiqu’elle vint alors deguisée en ce lieu
Elle se fit connoître en me disant adieu.

Que ne dit-elle point pour m’inspirer l’envie
De donner à mon nom une immortelle vie ?
Elle veut que je prenne un vol plus relevé,
Et que je mette au jour un ouvrage achevé.
Assez et trop long-temps dans mes doctes caprices,
Ma redoutable plume a gourmandé les vices,
À de plus grands exploits je pretends aspirer.
Aprés m’être fait craindre on me doit admirer.
Garrine tout charmé lui répond ces paroles.
Non non tu n’es point propre aux sornettes frivoles,
Et l’amour n’a pû faire en aucune façon
Produire à ton esprit un couplet de chanson.
Tu ne travailles point sur ces basses matieres ;
Mais cet esprit sublime a de vives lumieres,
Quand dans un satire il rime bien ou mal,
Quand il pille à loisir Horace, et Juvenal,
Quand il décrit le Rhin, ou narre une bataille,
Ou qu’il fait que Themis ouvre une huître à l’écaille,
C’est là ce qu’on appelle un autheur sans defaut ;
Mais tu dois plus pretendre et t’élever plus haut.
Ce n’est qu’aux grands desseins qu’un bel esprit s’aplique.
Porte ta verve enfin jusqu’au poëme epique,
Va chercher un heros dans les siecles passez,
Tous les historiens t’en fournissent assez.

Il en est de vaillants, de conquerants, de justes,
On voit des Scipions, des Cesars, des Augustes,
Donne à de tels sujets de pompeux ornemens,
Et brille dans tes vers en nobles sentimens.
Il est vrai, dit enfin le sincere Rigelle,
Lutrigot doit courir où la gloire l’appelle,
Un poëme heroïque est digne de son choix ;
Mais à quoi bon chercher les heros d’autrefois.
Leurs antiques vertus doivent être imitées.
Le Parnasse à bon droit les a jadis chantées.