Page:Bonnecorse - Lutrigot, 1686.djvu/15

Cette page n’a pas encore été corrigée


CHANT II


La muse cependant par le vague des airs,
Traversant à la hâte et la terre, et les mers,
Va revoir Apollon, et d’abord sa presence
Calme tous les chagrins causez par son absence.
Ma sœur, lui dit ce dieu, quel trouble, quel courroux
Vous oblige à nous fuïr ? Dequoi vous plaignez-vous ?
Je me plains, répond-elle, et je ne dois plus feindre,
Oüi de vous méme enfin j’ai sujet de me plaindre,
Faut-il que par un dieu Lutrigot soit blâmé,
Lui dont, à ce qu’on dit, le public est charmé ?
Tel qui ne le vaut pas est cheri du Parnasse,
Et mes sœurs bien souvent font des autheurs de grace.
Je sçai que Lutrigot pendant ses jeunes ans
A semé dans Paris ses escrits médisans,
Qu’il a voulu railler, et faire l’agreable ;
Mais des plus hauts desseins son genie est capable ;
Il a produit des vers dignes de nôtre adveu,
Il n’est pas sans esprit, sans brillant, ni sans feu,
Et si son jugement répond à sa memoire,
Il pourra desormais acquerir quelque gloire.

Ce jour heureux viendra. Je ne veux point celer
Que moi-méme chez lui je viens de lui parler.
Aux honneurs les plus grands le destin le reserve,
Et bien-tôt cet autheur animé par sa verve,
Sans s’amuser encor à parler mal d’autrui,
Fera voir des escrits qui seront tout de lui.
Qu’en croïez-vous, mes sœurs ? Ni l’amour ni la haine
Ne me previennent point lui répond Melpomene,
Et s’il faut m’expliquer, je diray franchement
Que ce poëte altier chante trop foiblement,
Le cothurne est trop haut et n’est pas son affaire.