Page:Bonenfant - Canadiennes d'hier, lettres familières, 1941.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Canadiennes d’hier

souvent l’occasion de causer avec lui. Il se dépêche de charroyer son bois de chauffage pendant que les chemins sont encore durs ; quand viendra le dégel, ça ne sera plus possible et la saison sera venue d’entailler les érables. Tous les jours de beau temps, je le vois revenir de St-Aubert, au commencement de l’après-midi, conduisant ses deux traînes à bâtons chargées d’érable, de merisier ou de bouleau. En bon habitant, il fait le trajet à pied, soucieux de ménager ses chevaux. Le « paletot de racoon » serait trop lourd pour une aussi longue marche, il porte un pardessus d’étoffe du pays, gris fer, serré à la taille par une ceinture rouge. En passant, il me fait un large salut de la main avec un beau sourire tout radieux de jeunesse. Il est, des fois, deux heures de relevée et le pauvre gars, parti pour le bois au petit jour, n’a pas encore dîné. Je suis sûre que tante Louise tient son repas au chaud sur le coin du fourneau et qu’il est appétissant. Son Petit peut le manger sans remords, il l’a bien gagné… lui !

Pour apaiser les scrupules hépatiques de mon ami Jacques, dites-lui donc que son père a été beaucoup plus que lui responsable de son infidélité à la terre. Il était pourtant homme d’esprit et de jugement, votre grand-père. Très attaché au sol. il travaillait aux champs, par goût, quand les devoirs de sa profession lui en laissaient le loisir ; et, par une inconséquence qu’il aurait vite remarquée chez autrui, il présentait à ses fils comme une punition ce qu’il aurait dû leur proposer en récompense. À la moindre incartade, il les menaçait de

92