Page:Bonenfant - Canadiennes d'hier, lettres familières, 1941.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Canadiennes d’hier

mais, jusque-là, je vous en supplie, continuez à faire le pont entre nous. S’il allait m’oublier complètement. tout serait à recommencer. Je bénis vos deux mauvais plaisants, ils ont travaillé pour moi ; mais il ne faut pas qu’ils persistent à taquiner le pauvre « petit ». Vous seule avez assez de doigté pour me rappeler, de temps en temps, à son souvenir sans compromettre ma cause. C’est une bien petite flamme qu’il s’agit d’entretenir ; un faible souffle l’empêchera de mourir et pourra aussi la ranimer ; une brise, même légère, risquerait de l’éteindre.

C’est vous qui êtes dans le vrai, gros’maman, il ne faut pas accorder une importance exagérée aux conventions sociales. Sans les dédaigner, vous les remettez à leur place et vous comprenez mieux que la plupart des cultivateurs eux-mêmes la noblesse de leur condition. Bien que j’aspire à devenir le modèle des fermières : que je me rende compte de la dignité du titre que j’ambitionne ; que j’apprécie pleinement les avantages de la vie au grand air, vous vous doutez bien, n’est-ce pas ? que je ne voudrais pas épouser n’importe quel habitant. Par exemple, je crois bien que je ne pourrais jamais me décider de partir pour l’Abitibi, quoique j’admire beaucoup celles qui ont le courage de le faire. Et encore, je n’en suis pas sûre. Tout dépendrait, évidemment, du sentiment que j’éprouverais pour celui qui me demanderait d’y aller avec lui. Mais il n’en est pas question pour le moment puisque celui que j’aime est de St-Jean-Port-Joli.

89