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Canadiennes d’hier

pour endosser son veston. J’avais retiré mes gants et je présentais mes doigts à la chaleur du fourneau lorsqu’il reparut en tirant sur ses manchettes. Comme il venait de m’entendre nommer, j’ai voulu lui épargner l’ennui d’une nouvelle présentation et je lui ai tendu la main d’un geste vif en disant :

« Bonjour, M. Leclerc. — Bonjour, mademoiselle… »

Vous auriez souri de son effarement, gros’maman. Il avait pris ma main dans la sienne et la tenait avec précaution, presque enfermée, comme s’il y avait senti battre un petit cœur d’oiseau. Après un instant d’hésitation, tout rougissant, il courba sa tête grise et mit sur le bout de mes doigts un baiser que n’aurait pas désavoué le Français le plus homme du monde. Le geste, venant de lui, n’avait rien de banal ; il n’est pas dans les habitudes canadiennes. Un peu confus de son audace, tout d’abord, il s’était vite remis et me considérait de ses yeux bleus, plus hardis de beaucoup que ceux de son fils, en souriant malicieusement. Encouragé par mon air amusé, il dit, mi-plaisant, mi-galant :

« Vous êtes-vous trouvée bien menée, mademoiselle ? J’avais averti Jean qu’il ferait mieux de ne pas sortir la pouliche : il n’a pas voulu m’écouter, comme de raison. Pour faire le faraud avec une jolie fille à côté de lui, y avait pas d’autre cheval assez fringant à l’écurie. À présent que je vous connais, j’peux pas le blâmer ; à sa place, j’en aurais fait autant. Ben, mon garçon, t’as

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