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Canadiennes d’hier

drissants. J’eus un moment d’émotion qui fit bientôt place à la consternation, car je ne fus pas lente à comprendre que ma belle-mère avait l’intention d’utiliser à mon usage la robe de noce vieille d’un demi-siècle ; et je savais qu’il n’y avait pas moyen de la faire revenir sur sa décision. Par ses soins, la belle soie moelleuse — d’une nuance très douce, heureusement — fut retournée, taillée à la dernière mode, et il a bien fallu que je m’en contente. J’avoue qu’elle ne m’allait pas trop mal. Par bonheur, je n’avais pas trouvé de coiffure dans la malle à surprise. J’eus une capote du dernier goût, à longues brides de tulle qui se nouaient en large nœud sous le menton, des gants neufs et des souliers convenables.

Mon père, revenu depuis peu de son voyage au long cours, était de bonne humeur et fort satisfait du mariage de sa fille. Il me conduisit à l’autel par un beau matin de juin. Le soleil et le bonheur, ce jour-là, harmonisaient ma robe et mon teint. Je voyais dans les yeux de mon André qu’il me trouvait jolie… et j’étais, enfin, débarrassée de ma belle-mère ! Je ne portais pas à terre !

Cependant, il fallut plusieurs semaines de vie heureuse pour me remettre tout à fait de l’intoxication. J’avais le mari le plus attentif, j’étais reine et maîtresse dans sa maison et je tendais toujours le dos, je craignais toujours de déplaire. Il m’était testé dans les oreilles des échos de voix grondeuse que les plus tendres paroles ne réussirent pas tout de suite à chasser complètement.

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