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Canadiennes d’hier

de Senay, au diocèse d’Avranches, en face du Mont-Saint-Michel. Il émigra au Canada en 1695. Ce n’est pas en contemplant notre fleuve que je peux oublier mes origines, n’est-ce pas ? Le Saint-Laurent, c’est la grande route de la France. Bien que je sois venue des vieux pays moins directement et moins récemment que vous, ma petite Sylvie, je n’en suis pas moins Française et de bonne race normande, je m’en fais gloire. Cela aussi fait partie de ma vie sentimentale.

Rassurez-vous, je ne sais pas grand’chose de mon premier ancêtre canadien et de ses nombreux descendants, si ce n’est que notre famille est des premières mentionnées aux registres de Saint-Jean-Port-Joli.

Puisque vous êtes venue en auto par le chemin du roi, vous avez sans doute remarqué qu’il fait un coude, à la rivière des Trois-Saumons, devant le vieux moulin banal, qui appartenait aux de Gaspé, où M. Lacorne de Saint-Luc, rescapé du naufrage de « l’Auguste », avait trouvé asile, à l’automne de 1761. Vous avez dû voir, de guingois sur la berge, près d’un petit pont, une grande maison de pierre : elle a été bâtie par mon arrière-grand-père. aidé de ses huit fils, et elle est encore habitée par un de ses descendants.

Tout près de là, la route contourne le petit cap sur lequel était situé le premier manoir de Gaspé, brûlé par les Anglais en 1759. C’est en ces parages que je suis née, le 13 octobre 1844, trois mois avant la naissance de mon ami Jacques. Son père était notaire, comme vous savez, au vil-

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