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Canadiennes d’hier

Elles sentent bien qu’elles n’auront pas a redouter la cognée tant qu’elles m’appartiendront ; que je ne me lasserai jamais de les voir, au coucher du soleil, se dresser, noires, sur le ciel embrasé, la montagne bleue, le fleuve miroitant et le paisible cimetière qui participe à cette splendeur, que leurs troncs droits et gommeux aux branches sans aiguilles, entre lesquelles apparaît la pointe argentée du clocher, me feront toujours l’effet d’être les colonnes d’un temple et me seront à jamais sacrés. Elles ont compris, dans leur sagesse, que je ne suis pas venue dans ce bocage pour en chasser son âme mais pour y raffermir la mienne, et elles continuent à se passer les oiseaux comme si de rien n’était.

Les bonnes gens de la paroisse n’imitent pas cette discrétion. Leur curiosité, pas trop bienveillante les premiers jours, est devenue amicale quand ils ont vu mon ardeur au travail. Pas rien qu’une fois on m’a crié du haut d’un « voyage de foin » ou d’entre les flancs d’un tombereau : « C’est trop fort pour vous, la demoiselle », ou « Vous savez pas vous y prendre, laissez donc faire les hommes » ; et, ce qui est plus aimable : « Vous feriez une bonne femme d’habitant, vous ! » Maintenant, on ne s’étonne plus de me voir à l’œuvre ; je fais partie du paysage. On me salue familièrement et l’on m’invite à prendre part à la vie paroissiale. Dimanche, Mme Daniel Robichaud, la secrétaire du « Cercle des fermières », m’a emmenée visiter les travaux de tissage exécutés, l’hiver dernier, par les membres du cercle dont elle est la principale animatrice. On

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