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Canadiennes d’hier

le remords, peut-être, de ne pas m’avoir remise en mains sûres avant ton départ. Une parfaite quiétude te sera nécessaire dans les milieux internationaux où tu vas te mouvoir.

Sais-tu que je ne désespère pas de te voir admise avant peu dans l’imposante assemblée « des plus puissants cerceaux de l’univers » ; on ne les pèsera pas avant l’ouverture de la session et, avec les progrès du féminisme, toutes les espérances te sont permises. Le jour où je verrai dans les gazettes que tu as joué au « golf » avec Lloyd George, je serai bien fière de toi.

J’ai l’intention d’habiter ma future maison au moins cinq mois de l’année ; et quand, à l’hiver, je regagnerai Québec ou Montréal, ce sera pour faire du service social probablement en qualité de garde bénévole à l’hôpital Ste-Justine. En ce moment, je ne veux pas penser à l’avenir : je fais halte dans le présent.

Ma raideur professionnelle, comme tu dis si bien, ne m’est pas venue sans quelque fatigue. Les soins, généreusement rémunérés, que j’ai été appelée à donner, ne peuvent se comparer aux dévouements héroïques dont j’ai été souvent témoin ; mais enfin, j’ai bien gagné de me reposer un peu et ce n’est pas le bon temps de parler mariage. Il y a eu, déjà, trois Sylvie bien distinctes, je ne me sens pas mûre pour un quatrième avatar ; et, comme de nos jours, il n’y a pas de maris pour toutes les demandantes, je ne veux pas frustrer une jouvencelle à la taille souple, plus agile que moi à la course au bonheur, du bon parti que vous tenez en réserve.

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