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Canadiennes d’hier

vous ne pensiez pas avoir devant vous la veuve de Jean Leclerc. Je n’aurais pas accepté d’entrer dans la grande salle si j’avais su qu’il y eût de la visite et surtout que la visite c’était vous. Une fois prise, il a bien fallu que je paraisse être à mon aise mais je ne l’étais pas.

Vous vous êtes montrée affable et tout a bien marché jusqu’au moment où ma petite fille, qui était gênée pour commencer, a fini par s’apprivoiser, s’est laissé embrasser par vous, s’est décidée à lever les yeux et à vous sourire.

Vous avez été frappée de sa ressemblance avec son défunt père. J’ai vu le bras qui l’entourait retomber comme s’il était cassé, j’ai vu blanchir et trembler vos lèvres. J’ai compris que la mémoire de ce pauvre Jean est encore vivante dans votre cœur, après sept années et tout ce qui est arrivé, et que ma présence ne pouvait pas vous être agréable. Mon agitation a été aussi vive que la vôtre. Sans m’en apercevoir, je me suis trouvée debout, j’ai pris ma petite Louise par la main et tourné les talons comme si on m’avait mise à la porte. Mlle Régina était elle-même contente que je m’en aille, même si je partais comme les sauvages, sans dire bonjour. Elle a sauvé les apparences en disant de son air tranquille, tout en me reconduisant : « Je ne vous retiens pas, on dirait que le ciel se couvre, j’espère que vous aurez le temps de vous rendre à la maison avant l’orage et que vous reviendrez nous voir bien vite. »

Après mon départ, elle a dû vous raconter mon histoire, vous dire comment, sur le conseil, presque

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