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Canadiennes d’hier

si étroitement surveillée par un père noble du répertoire, retranché derrière cinq vieux canons aveugles. Au prochain jour de pluie, je me ferai la barbe, je prendrai le train de nuit et un alpenstock. j’escaladerai les sommets glacés de la Côte-de-la-Montagne et de son balcon. À la faveur des ténèbres, — au risque d’attraper des engelures, — je la soustrairai à la vigilance de son gardien et je l’emporterai à la maison. En attendant les formalités d’usage, je placerai ma Notre-Dame-des-Neiges sur le petit autel d’angle de ma chambre à coucher, à côté de ma statue de la bonne sainte Anne ; le même lampion servira aux deux. »

Je divague, gros’maman, mais avouez qu’il y a de quoi ! J’accorde à la volonté paternelle un mois plein de soumission absolue, à compter d’aujourd’hui. Je ne remuerai pas un doigt pour communiquer avec Jean, pas même par votre intermédiaire, pendant tout ce temps, et je sens que j’ai tort, mais je tiendrai ma promesse. Par exemple, je ne veux pas bouger de Québec. Si, le 15 août, papa n’est pas revenu à des idées plus justes, je partirai pour St-Jean-Port-Joli. Je n’irai pas chez vous, pour ne pas vous mettre dans une fausse position. J’irai tout droit trouver Jean aux champs, à l’étable ou à l’écurie. Qu’il soit en train de panser Castor ou d’étriller la pouliche, je me jetterai dans ses bras, je m’offrirai. S’il ne veut pas de moi, je reviendrai à ma courte honte, mais au moins j’aurai tenté quelque chose, je saurai à quoi m’en tenir. À mon retour, si papa me ferme sa porte, je ne réclamerai

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