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Canadiennes d’hier

renouer avec vous et St-Jean-Port-Joli. Je ne sais pas s’il ajouterait autre chose, s’il oserait vous faire des reproches quand je lui ai si bien dit et prouvé, lettres en mains, que vous m’avez conseillé dès le début de me confier à lui. Mais il m’en a dit long quand j’ai « sondé le terrain » ; il s’est soulagé de l’irritation que lui cause ma figure allongée. Il m’en veut parce qu’il me fait de la peine, parce que je ne veux pas entendre raison et profiter de son expérience. Non, il n’ira pas à St-Jean-Port-Joli, il ne donnera pas dans le panneau ; il se méfie des femmes et de leurs moyens de persuasion, des vôtres en particulier, gros’maman ; c’est flatteur, n’est-ce pas ? Il s’aperçoit que vous dépensez à protéger ma petite intrigue un fonds romanesque inemployé, accumulé durant vos quarante années de vertueux veuvage. Vous vous mettez à ma place en imagination, vous revivez, — il ne veut pas dire vos quinze ans, ce serait fatuité de sa part, — disons votre vingtième année et vous semblez avoir totalement perdu le sens de la réalité.

Voilà pour vous, gros’maman. Mon paquet, à moi, a été beaucoup plus considérable. Si l’explication a été orageuse, ce n’est pas que j’aie eu la chance de placer un mot pour défendre mon amour. Le tonnerre et les éclairs étaient de son côté et la pluie du mien ; je pleurais comme une Madeleine pendant qu’il fulminait. Je résume. S’il s’oppose à mon mariage avec un cultivateur, ce n’est pas qu’il méprise ou dédaigne sa condition de paysan, loin de là, c’est, au contraire, parce qu’il en a une très haute idée. D’après lui, c’est une sorte de paradis

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