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Canadiennes d’hier

encore moins soigner les cochons (sauf votre respect) quand les hommes sont aux champs. Vous me direz que ce qu’elle ne pourra pas faire elle-même, elle le fera faire et qu’il y a toujours moyen de s’arranger avec de l’argent… Oui, mais vous savez comme moi, madame, que les cultivateurs qui ne font pas leur ouvrage eux-mêmes s’appauvrissent au lieu de s’enrichir.

Vous rendez un mauvais service à Jean et même à votre amie en favorisant les fréquentations. Je comprends que Mlle Carrière le trouve de son goût, il n’est pas déplaisant : il est joli garçon, il chante bien, il est en moyens ; je suis capable de m’en apercevoir aussi bien qu’elle. Mais elle l’a vu endimanché et la barbe faite, elle ne l’a pas vu dans ses hardes de travail avec une barbe de huit jours. Elle l’a entendu chanter des cantiques, elle ne l’a pas entendu sacrer après ses animaux. Elle pourrait avoir des désillusions et vous faire des reproches plus tard. L’amour est aveugle, je le sais par expérience, mais on finit toujours par ouvrir les yeux et on peut remercier le bon Dieu quand on les ouvre avant de s’être passé la corde au cou.

Vous vous souvenez peut-être du temps que j’enseignais à l’école du faubourg. Je venais de sortir de l’École Normale de Québec avec le prix du prince de Galles, — je n’en étais pas plus fière, il me semblait que je l avais gagné trop facilement. — Vous me voyiez passer après ma classe, je faisais chaque jour une demi-lieue à pied, beau temps, mauvais temps, pour aller aider ma mère à traire ses vaches. Le lendemain, quand je repassais devant

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