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Canadiennes d’hier

bout de ma curiosité. Pourquoi, petite fille, votre pensée s’envole-t-elle habituellement vers Montréal, précisément au moment où, de votre fenêtre, vous regardez descendre le soleil derrière les Laurentides : quand vous devez avoir sous les yeux la courbe harmonieuse de la côte de Beaupré, peut-être même la chute Montmorency et l’île d’Orléans ; quand, en tournant la tête, vous pourriez presque voir lever la lune sur les hauteurs de Lévis ? Est-ce pour admirer davantage votre ville par comparaison, ou est-ce pour regretter l’autre ? Avez-vous un amoureux dans cette grande ville bruyante et cosmopolite, ou est-ce seulement votre sœur et ses enfants que vous y suivez en imagination ?

Vous n’êtes pas obligée de satisfaire ma curiosité, ne le faites que si le cœur vous en dit ; mais pour vous y inciter et comme gage de ma discrétion, je vais vous faire une confidence qui, je le crois, vous fera sourire : votre père a été mon premier cavalier. Il ne s’en souvient probablement pas, l’ingrat, les hommes oublient vite ces choses-là, mais les femmes gardent toujours en quelque recoin du cœur le souvenir de leur premier amour.

N’allez pas croire au moins que j’ai du vague à l’âme ; il y a belle lurette que j’en ai passé l’âge. Il n’y a plus de place en moi que pour des sentiments de tout repos. Cependant, je ne suis pas tout à fait remise de l’émotion que m’a causée votre visite et, pour reprendre mon assiette, il me faut en parler avec quelqu’un qui me comprenne. Ce n’est pas madame Rivet (cette dame que vous

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