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Canadiennes d’hier

faires sentimentales. Je peux donc, sans le trahir, vous rapporter fidèlement ses paroles et vous dire l’impression que j’en ai eue, d’après l’expression de sa physionomie, afin d’éclaircir ce qu’il peut y avoir de normand en elles. Cela vous permettra de juger par vous-même de l’état du cœur et de l’esprit de notre intéressant jeune homme.

Le matin de son retour, il a sauté de voiture pour m’apporter vos remerciements et promettre de revenir bientôt me « conter ça ». Il était rayonnant et pressé. Son père devait avoir hâte de savoir s’il avait réussi à vendre son sucre et quel prix il en avait obtenu.

Dimanche après-midi, j’avais éloigné mes gens en leur défendant de rentrer avant cinq heures, à l’exception de Régina, qui devait revenir des vêpres avec Jean, m’aider à engager la conversation et ensuite se retirer discrètement. Toutes ces précautions à cause de ma surdité qui augmente de jour en jour. Je suis assez bonne physionomiste, heureusement. Il est agréable de suivre les pensées sur un visage aussi ouvert que celui de notre ami et de lire les mots sur d’aussi belles lèvres ; mais je comprends que c’est un peu embarrassant pour un garçon timide, qui n’ose pas encore s’avouer à lui-même les sentiments de son cœur, d’avoir à les crier à l’oreille d’une sourde.

Régina dit en entrant : « Je vous amène un monsieur qui a été reçu la semaine dernière dans un des salons les plus fermés de la vieille capitale, comme disent les gazettes. On ne badine pas ! Il ne mettra pas de temps à nous regarder du haut de sa gran-

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