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Canadiennes d’hier

et l’accompagnateur, visiblement émerveillé, s’animait au jeu. La chanson finie, il proposa un chant d’église et joua les premières mesures de « Adeste fideles ». Après, sans lui donner le temps de souffler, à ma suggestion, il le fit passer à la berceuse de « Jocelyn ».

Les vieux échos de la maison, endormis depuis les dernières fêtes de Montcalm peut-être, sortaient des murs épais et flottaient, rajeunis. Assise dans l’ombre, sur le canapé, je pleurais doucement, je ne vous le cache pas. Des moments comme ceux-là, non seulement se gravent dans la mémoire pour toujours, mais ils ont tout de suite un goût de souvenir.

Le concert tirait à sa fin, le vieux serin de Cati s’égosillait dans la cuisine, — je ne sais pas pourquoi elle n’avait pas songé à couvrir la cage ; — pour cacher mon émotion et essuyer mes yeux en traversant le vestibule, je partis en courant sous prétexte d’aller le faire taire. Cati était assise dans sa chaise berçante, les bras croisés sur ses genoux, la bouche tremblante, son chapelet à la main. Je lui ai demandé en passant :

« Trouves-tu que le petit habitant chante bien, pau’vieille ? »

Elle a salué avec componction et daigné dire :

« Pour un Canadien de St-Jean-Port-Joli, il est révérend… C’est quasiment plus beau qu’à la Basilique !… faut dire aussi qu’il est accompagné au superfin ! on dirait-y que M. Jacques a pas touché le piano depuis la mort de vot’maman. »

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