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que quelques mots heureux d’Henri IV menant ses bandes contre Mayenne : le « panache blanc » d’Ivry est resté comme la formule de cette éloquence familière, gasconne, faite pour plaire, mais d’une haleine trop courte. Bonaparte n’a point cherché son modèle chez l’ami de Sully. C’est encore l’antiquité qui lui a ouvert les voies. Périclès, Alexandre, César, voilà les maîtres de la parole qui l’ont inspiré. Il a retenu d’eux le pittoresque, le souffle et l’image ; et comme il a conscience de ce qu’il veut et qu’il le veut bien, comme il est dominé par une passion impétueuse, prise aux sources les plus délicates de son âme, — l’amour de la gloire, — il atteint du premier coup à la véritable éloquence, par l’intégrité même de la sensation, ce qui est le plus simple des procédés littéraires, tout en étant le plus rare. Le jour où, passant devant les régiments déguenillés de l’armée d’Italie, un matin d’avril 1796, il laissa tomber de ses lèvres ces extraordinaires paroles : « Soldats, vous êtes mal nourris et presque nus ; le gouvernement vous doit beaucoup, mais ne peut rien pour vous… je vais vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde, » — ce jour-là, il se haussa sans effort jusqu’au ton sublime de l’antiquité. Sa phrase sonore, ensoleillée, traînant d’invisibles panaches, possède alors la majestueuse simplicité du latin, l’étonnante concision des véritables maîtres, imperatoria brevitas. De ces proclamations entraînantes, la plupart sont de réels chefs-d’œuvre ; toutes sont remarquables par l’harmonieuse proportion de l’ensemble et l’art avec lequel l’orateur a assemblé les parties. Il y règne une énergie lapidaire, un bonheur d’expressions, un choc de pensées tels qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher ce nouveau genre littéraire des productions consacrées par les siècles. Napoléon est classique par ses proclamations. Ce genre lui appartient comme les pensées à Pascal, les oraisons funèbres à Bossuet, les fables à La Fontaine, les comédies à Molière. Il défie les copistes et les imitateurs. Toutefois, des circonstances ter-